Éditorial de La Tribune des Travailleurs n° 406 du 13 septembre 2023

Sans elle ? Oui, sans elle !

Par Daniel Gluckstein


« La “bourgeoisie” se défend durement ? Oui, mais on ne peut faire sans elle. » Ainsi s’exprime (dans L’Opinion) Éric Le Boucher, chroniqueur à ses heures aux Échos.

« Durement » ? C’est le moins qu’on puisse dire : cette phrase conclut un article sur le coup d’État de Pinochet au Chili en 1973 qui provoqua, est-il écrit, « 3 000 morts ou disparus et plus de 38 000 personnes torturées » et instaura « une des pires dictatures de la région » !

« Durement », donc…

« Sans doute, reconnaît l’auteur, la finance américaine » a-t-elle joué un rôle dans le coup d’État tout comme « des entrepreneurs de la “bourgeoisie” ». Mais pour lui, les vrais responsables du coup d’État, « ce sont les idées “de gauche généreuse” de relance par la consommation, de blocage des prix ou de nationalisation ».

Revendications modestes, on en conviendra. Mais les capitalistes y virent une telle menace qu’ils décidèrent de se défendre « durement » !

De cette justification éhontée du massacre chilien, Le Boucher conclut : « Les vieilles recettes d’antagonisation du travail et du capital ne conduisent qu’au conflit et à l’impasse. » Là, il ne s’agit plus du Chili de 1973, mais du monde d’aujourd’hui. On sent Le Boucher tenté par l’instauration d’un régime où la lutte des classes serait officiellement proscrite, un régime corporatiste où les travailleurs privés de droits et d’organisations seraient soumis à la « corporation » organisée avec les patrons sous l’égide de l’État. Corporatisme qui conduit tout droit au fascisme, l’histoire nous l’apprend. 

Aujourd’hui, la domination de la bourgeoisie – c’est-à-dire la survie du système capitaliste – se fait au prix de la destruction de millions d’êtres humains chaque année, victimes des famines et des guerres, de la surexploitation, de la misère et des déplacements forcés, du dérèglement climatique et de ses conséquences, mais… « on ne peut pas faire sans elle »

N’en déplaise aux Le Boucher et autres plumitifs sans conscience, les travailleurs précipités toujours plus bas par un système capitaliste qui ne connaît d’autre loi que le profit n’ont pas le choix : se battre pour les revendications les plus élémentaires, sans crainte de se heurter à la bourgeoisie et à ses gouvernements.

Sans crainte, oui ! Car « on peut faire sans elle » ! La bourgeoisie possède les moyens de production, mais elle ne peut rien sans la classe des producteurs qu’elle exploite. Les producteurs, eux, à condition de prendre entre leurs mains les moyens de production, peuvent tout faire sans la bourgeoisie, cette classe de parasites et de spéculateurs juchés sur leurs montagnes de profits.

Le combat aujourd’hui pour le blocage des prix et l’indexation des salaires emprunte une voie qui, demain, verra les travailleurs organiser eux-mêmes l’économie et la vie sociale afin que les richesses produites par tous bénéficient à tous.

Comme le dit L’Internationale, le chant du mouvement ouvrier, « combien de nos chairs se repaissent… Mais si les corbeaux, les vautours, un de ces matins disparaissent, le soleil brillera toujours. »