Editorial de La Tribune des Travailleurs n° 409 du 04 octobre 2023

Un calme automnal ?

Par Daniel Gluckstein

Faut-il prendre au sérieux la menace d’une « bombe sociale » sur le point d’éclater ? La question est posée par Madame Cécile Cornudet, éditorialiste au journal capitaliste Les Échos, qui s’interroge sur cette menace qui « fait peur (…) car le souvenir est frais des secousses des derniers mois : “gilets jaunes”, réforme des retraites, émeutes de juin. La terre politique et sociale a tremblé, elle le pourra donc encore. »

Madame Cornudet se veut rassurante : « Si l’on regarde de près, rarement automne n’aura été aussi peu “chaud” que celui-ci, du point de vue social s’entend. » Pas lieu de s’inquiéter, donc ? Pas si simple : « Il serait faux bien sûr d’en conclure que tout va bien. Les Français ne parlent que du prix des courses. »

Qu’en conclure : « bombe sociale » ou pas ? Réponse : « Réelle ou fantasmée, qu’importe, la bombe est dans les esprits. »

Réelle ou fantasmée ? Ce n’est tout de même pas la même chose ! Ou bien la « bombe sociale » est un fantasme, et alors pourquoi nos capitalistes devraient-ils s’en préoccuper ? Ou bien les composants de cette « bombe sociale » sont en train de s’assembler dans la vie réelle, et là, c’est autre chose.

Il aurait suffi à Madame Cornudet d’assister à la rencontre nationale de délégués pour l’unité du 30 septembre pour en prendre la mesure. Mandatés par des groupements et des comités ouvriers de tailles diverses, mais enracinés dans l’expérience du combat dans leur entreprise ou leur secteur professionnel, ces délégués sont tombés d’accord sur un point : cela ne peut plus durer !

La « bombe sociale » n’a rien d’un fantasme : les salaires qui ne permettent plus de finir les mois, les repas qu’on saute, les enfants qu’on prive de vacances, les factures qu’on ne peut plus payer, celles du gaz, de l’électricité, les loyers en retard… « Bombe sociale » des hôpitaux qui ne soignent plus, de l’école qui n’instruit plus… « Bombe sociale » d’une société qui voit chaque jour davantage des milliards s’accumuler à un pôle et le dénuement, voire la misère, s’étendre à l’autre pôle.

Certes, de nombreux obstacles se dressent sur la voie de l’action collective des travailleurs. Encouragée par la manière dont s’est conclue la mobilisation contre la réforme des retraites, Madame Cornudet enregistre qu« une journée d’action est prévue le 13 octobre sur le pouvoir d’achat, mais les syndicats sont sur les freins ».

Il n’empêche : chaque jour davantage, l’insupportable pousse à la révolte, l’insoutenable pousse à la mobilisation, l’exploitation nourrit la résistance à l’exploitation. C’est pour aider à franchir les obstacles qui se dressent devant la classe ouvrière que la rencontre nationale pour l’unité a lancé un appel à organiser partout l’action commune pour toutes les revendications.

Le véritable fantasme réside peut-être finalement dans cette illusion de calme automnal qui ravit Madame Cornudet. Il y a près d’un demi-siècle, un de ses confrères s’étonnait en première page du journal Le Monde : « La France s’ennuie. » C’était un 15 mars, six semaines avant Mai-1968…